Présentation de mon travail (2003)



        Un jour, il y a bien longtemps, je me rendis compte que l’on pouvait sans peine mettre en doute l’ordre scientifique du monde, et les discours qui concourraient à assurer la stabilité de l’édifice m’apparurent soudain menaçants.
        Malheureusement, je m’étais alors engagé sur la voie d’une formation mêlant mathématiques, sciences physiques et astronomie, et l’abandon de cette trajectoire initiale ne pouvait se faire qu’au prix d’un long effort de dévoiement. Je me rendais compte que l’on pouvait bien acquérir la maîtrise de quelques techniques, et il en fallait, ne serait-ce que pour aller faire son marché le matin, mais l’essentiel relevait de la croyance. C’est à dire d’idéologies tues, d’explications intéressées, de bonnes volontés douteuses. Mes parents, mes amis, tentèrent de ma raisonner. En vain.
        Le début de mon activité artistique marqua le départ d’un douloureux revirement, non encore totalement achevé aujourd’hui. Je compris qu’il pouvait être intéressant de traiter des représentations du monde élaborées par la science en ignorant leur contenu narratif ou explicatif, pour s’intéresser à leur devenir et à leur action dans l’espace social, c’est à dire finalement comme partie constituante de notre culture. Je compris également que la mainmise grandissante des dispositifs techno-scientifiques sur nos vies nécessitait une forme de résistance intellectuelle que seul le champ artistique permettait encore.

        Si je devais rattacher mon activité artistique à une discipline donnée, ce qui constitue certainement un non-sens aujourd’hui, ce serait la peinture. Et pourtant, on trouvera très peu de peintures dans le dossier artistique ci-joint, davantage de dessins peut-être, encore que ceux-ci soient plus proches de photo-graphies. En fait, Thierry de Duve a bien montré comment la peinture en est venue, dans la deuxième moitié du XXe siècle, à diffuser dans la totalité des arts plastiques, et lorsque j’utilise la vidéo ou l’infographie, des problématiques picturales réapparaissent rapidement : délimitation du support, objectité, position de l’artiste, enregistrement de la réalité, matière, trace, etc. 
        Ma pratique artistique passe en réalité par l’utilisation systématique  des technologies de l’image et de l’information, et ce même lorsque l’étape finale est picturale. Les problèmes liés à l’information (enregistrement, codage, transmission,...) se retrouvent au centre de mes préoccupations formelles : c’est le cas lorsque j’utilise la vidéo, privilégiant la performance et l’enregistrement live  sur  les effets de montage, c’est aussi le cas lorsque je traite numériquement une photographie pour pouvoir la reproduire par le dessin, ou encore lorsque je relève le contour d’une ombre d’un geste manuel et répétitif. Car le travail de la main ou les tremblements du bras qui tient la caméra me semblent importants, en ce qu’ils permettent de repousser la distinction trop facile entre l’homme et la machine.
        Par ailleurs, l’étude des croyances attachées à la pratique scientifique ou aux événements médiatiques, l’attention portée à la manière dont les savoirs façonnent notre culture, et l’intérêt pour les visions du monde qu’imposent les sciences et les technologies nécessitent l’utilisation critique des médias modernes.


Anthelme Lee
Septembre 2003


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